dimanche 29 juin 2014

The Night Circus - Erin Morgenstern


"Le cirque arrive sans crier gare. Aucune annonce ne précède sa venue, aucune affiche sur les réverbères, aucune publicité dans les journaux. Il est simplement là, alors qu'hier il ne l'était pas."
Sous les chapiteaux rayés de noir et de blanc, c'est une expérience unique, une fête pour les sens où chaque visiteur peut se perdre avec délice dans un dédale de nuages, flâner dans un luxuriant jardin de glace, s'émerveiller et se laisser enivrer...
BIENVENUE AU CIRQUE DES RÊVES !
Derrière la fumée et les miroirs, la compétition fait rage. Deux jeunes illusionnistes, Celia et Marco, s'affrontent dans un combat magique pour lequel ils sont entraînés depuis l'enfance."

Cela faisait longtemps que ce livre traînait dans ma PAL. Je l'avais acheté avant même d'en entendre parler sur tous les blogs francophones (avant sa traduction française, donc) parce que j'étais tombée dessus au rayon VO, et que j'avais trouvé la couverture magnifique. Mon avis sur ce sujet n'a pas changé, et même, je l'apprécie d'autant plus après lecture, maintenant que je comprends mieux l'organisation de l'image, le choix des couleurs, etc... ce livre est en effet un coup de coeur, un véritable petit bijou, plein de poésie et de magie, mais aussi d'étrangeté et de mystère.

L'ambiance du livre en elle-même est très particulière, un peu onirique, parfois surréaliste, elle m'a beaucoup rappelé, et ce tout au long du roman, l'atmosphère du livre de Susanna Clarke, Jonathan Strange & Mr. Norrell (qui avait également été un coup de coeur pour moi). On trouve au début de chaque partie du roman un court chapitre d'une à deux pages, narré à la deuxième personne, qui fait littéralement entrer le lecteur dans le livre, et dans le cirque, puisqu'il nous fait, à chaque fois visiter une des tentes du cirque, assister à un spectacle ou déambuler dans ce lieu étrange. Dans le reste du récit, toute la narration se fait au présent, ce qui étrangement n'ancre pas les personnages dans une certaine instantanéité, en les rendant plus tangibles, comme on pourrait le penser, mais au contraire les fige dans l'instant, les met à distance, comme dans un rêve. Le présent m'a donné l'impression d'une description presque glacée d'une histoire ou pourtant se croisent des émotions violentes, poignantes et des personnages aux caractères bien trempés.

Autre aspect qui peut embrouiller le lecteur : la chronologie un peu floue dès le départ d'un chapitre à l'autre. S'entrecroisent dans le roman des chapitres relatifs à la création du cirque, des chapitres se déroulant à l'intérieur du cirque lui-même, des chapitres concernant des personnage qui à première vue n'ont rien à voir avec le cirque... certains se déroulent à des années d'intervalle, mais ce n'est pas toujours évident d'emblée (et ça l'est d'autant moins lorsque, comme moi, on met un certain temps à se rendre compte que des dates sont indiquées au début des chapitres...) On peut ainsi croiser dans un chapitre un personnage adolescent, et sans transition le voir enfant au chapitre suivant. De même, on voit la cérémonie d'ouverture du cirque alors que quelques chapitres plus tôt, le cirque était déjà ouvert depuis des années... il faut sans cesse garder en tête les différents fils directeurs, mais ce n'est pas aussi difficile que l'on pourrait le croire, car il n'y en a, malgré tout, pas tant que ça, et la date indiquée en début de chapitre aide beaucoup à se rendre compte. Et cela crée un effet d'anticipation très efficace.

L'impression de distance avec le récit est accentuée par le fait que, même si les lieux visités par le cirque sont bien réel, tout le reste relève d'un univers fantastique. Certaines choses sont difficiles, voire impossibles à se représenter. A commencer par le cirque, qui est décrit en détails, mais dont la description même empêche toute représentation, cette profusion de détails le rend littéralement impossible à imaginer, comme si figer son image pouvait du même coup en diminuer le charme mouvant et énigmatique.. Tout cela alimente l'impression d'un univers flou, extravagant, dont le lecteur serait un spectateur, à la manière d'un visiteur du cirque. Cela vaut aussi pour certaines descriptions de personnages, je pense notamment à la contorsionniste, Tsukiko, qui parle par énigmes et que son étonnant détachement par rapport aux événements rend fascinante, et parfois un peu dérangeante.

Cette distance avec les personnages n'empêche pas, malgré tout, de les trouver attachants. D'abord ceux du cirque sont tous auréolés d'un certain mystère, et les visiteurs, les gens de l'extérieur se trouvent dans la même situation que le lecteur, invités dans un monde qu'ils ne peuvent pénétrer que provisoirement, paradoxalement créé à leur intention mais dont ils ne peuvent jamais embrasser pleinement la signification, et face auquel ils éprouvent une sorte de fascination mêlée d'excitation.

Les artistes du cirque eux-même ne savent pas tout ce qui se trame dans les coulisses, comme si le cirque ne pouvait jamais dévoiler toutes ses facettes, et certains points demeurent obscurs, même à la fin, une fois que tout est résolu, d'une façon étrangement douce-amère.

Vous l'aurez compris, c'est surtout l'ambiance qui m'a charmée dans ce livre, plus que l'intrigue, et la preuve, c'est que je n'ai pas encore parlé du coeur du récit, à savoir la compétition ente Celia et Marco, l'affrontement entre deux manières de concevoir la magie qui m'a encore une fois fait penser à Jonathan Strange & Mr Norrell. Mais ici, loin de chercher à écraser l'adversaire, les deux personnages, opposés dans un duel dont ils ne comprennent pas les règles, ne semblent pas lutter, mais se répondre l'un à l'autre, et transformer l'affrontement en un gracieux ballet dont le cirque est le cadre. Celia et Marco rivalisent d'imagination, de créativité, d'inventivité, et élaborent des spectacles magiques et merveilleux qui transforment littéralement le cirque en un autre monde. Les règles du duel, la raison de cette opposition, tout reste très flou, jusqu'au bout, mais ce face à face constant finit par créer entre les deux personnages un lien complexe et touchant qui rend leur histoire très belle.

J'ai également beaucoup aimé les jumeaux Widget et Poppet, nés avec le cirque et qui en quelque sorte vivent avec lui, sentent les forces qui le traversent, les faiblesses qui le fragilisent. Ces enfants qui ont grandi dans le cirque font mieux que connaître le lieu comme leur poche, ils font partie intégrante du cirque, pressentent les drames de chacun de ses artistes et les événements qui le menacent. Mieux que cela, leur insouciance est contagieuse, et en leur compagnie, le cirque devient un lieu bienveillant, sécurisant. Ils sont en quelque sorte une figure rassurante, un pied sûr dans un lieu où toutes les apparences sont trompeuses et où chacun peut se perdre.

Bref, j'aurais encore énormément à dire sur toute cette histoire, sur les "Rêveurs", ces doux fidèles qui suivent le cirque comme des pèlerins, sur les créateurs du cirque restés à l'extérieur qui ont du mal à supporter tout le mystère qui l'entoure et dont ils sont les témoins, sur le père de Celia et le maître de Marco, qui les ont voués à s'opposer dès l'enfance sans tenir compte du fait qu'ils soient avant tout des êtres de chair et de sang, et par la même vivants et imprévisibles. Mais il me faudrait trois chroniques au lieu d'une pour parler de tout ce qui m'a plu dans ce livre, et il m'a fait une si forte impression que je ne suis pas sûre de réussir à en parler correctement. Je dirai donc simplement que c'est cette ambiance étrange, à la fois chaleureuse et énigmatique, l'extravagance improbable, l'inventivité et la féérie qui émanent du Cirque des Rêves (en français dans le texte) qui m'ont conquise et font que je relirai très certainement ce roman un jour.

troisième livre lu dans le cadre du challenge ABC




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